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Un jour, je me suis mis en marche.



Il m'a fallu faire face au taureau avant de le prendre par les cornes :)


Depuis longtemps déjà je disais : "la vie nous parle". Pourtant, je ne l'entendais pas.

L'énergie qui m'a permis d'avancer dans la vie, dans ma carrière de coureur au large était forte. J’étais ce que l’on appelle une personne "intense". Aujourd'hui, j'ai compris que la force, qui m'a permis de réaliser ou d'accomplir ces défis importants comme des records et des navigations très engagées, était une énergie de fuite.

Sans développer le sujet, je peux le résumer ainsi : enfant de parents divorcés, j’étais dans la culpabilité de ne pouvoir satisfaire l’un sans décevoir l’autre. La personnalité forte et sombre de mon père a aussi été une raison de fuir pour mieux briller et attirer son attention. C’est mon histoire, elle est unique, mais elle est aussi assez commune dans ces grandes lignes. La fuite, synonyme dans mon cas, d’adaptation à une situation intolérable… Cette énergie salvatrice était aussi un symptôme post traumatique.

Trauma, trauma ! Suis-je un traumatisé ? Oui, bien sûr, comme nous le sommes tous 😊

La fuite donc…


Certains de mes dysfonctionnements étaient des qualités professionnelles !


Un autre symptôme post traumatique très commun, c’est l’hyper vigilance. Celui-ci est devenu un atout pour moi dans la réalisation de mon sport. Au large, on scanne sans cesse. L’horizon, les cadrans électroniques, les nuages, les vagues, les détails d’usure d’un cordage ou d’une pièce d’accastillage, les sensations de barre dans ses mains, dans ses jambes, la gite du bateau, les bruits, sans cesse on scanne, vigilant, toujours dans l’anticipation, cela ressemble à une attitude de proie. Chanceux que je suis, l’un de mes syndromes post traumatiques est une qualité professionnelle !

Et puis il y a l’intensité. D’où m’est-elle venue ? Je n’en suis pas bien sûr mais peut-être est-elle un héritage. Celui de mon père, lui-même extrêmement intense, au point de me faire prendre le large. Pour « survivre » à ce degré d’intensité peut-être ai-je dû me développer dans un niveau équivalent. Les choix devant une telle intensité ne sont-ils pas l’effacement ou la réaction ? Quoi qu’il en soit, l’intensité a coloré mon parcours, elle aussi a probablement été une qualité professionnelle. Avec le recul, je reconnais aussi qu’elle n’a pas toujours facilité mes modes de relations.

Nous avons donc une énergie de fuite enrobée dans de l’intensité. Bien sûr, il n’y avait pas que cela dans mon cocktail propulsif, mais avec cela déjà, on fait du chemin !

Je disais depuis longtemps : « la vie nous parle ». Une partie de moi le savait, mais mon énergie propulsive était trop forte pour me laisser entendre ses messages. Aujourd’hui, je crois que le message est unique et qu’il est simple et basique : « reviens à la maison ». Je croyais alors que mon intensité et l’engagement qui en découle étaient mes qualités principales, je ne comprenais pas qu’ils puissent être mes œillères. Les signaux que m’adressait la vie ne suffisaient pas à me sortir la tête du guidon, pas assez intenses pour que je questionne mon cap.



Quand tu n'entends pas, la vie monte le son.


Alors, son message ne passant pas, la vie a monté les curseurs de ses communications, peu à peu j’ai fini par ressentir l’onde de son expression. C’est mon corps qui a commencé à entendre, à en percevoir les vibrations. Ma tête elle, restait sous le contrôle d’un mental reptilien, toujours activé par des stratégies d’adaptation à mon contexte de début de vie.

De plus en plus fort, la vie s’est manifestée. Perte d’un équipier, Hans, sur l’un des deux bateaux de l’équipe, démâtage puis sauvetage dans le grand sud, bateau cassé puis récupéré par un cargo dans une route du rhum, perte de Mohamed en mer adriatique, chavirage et hélitreuillage au large de Terre-Neuve, finalement j’ai fini par entendre… Ma famille elle, ma femme et mes filles, avaient entendu le message dès la perte de Hans.

Tiens ! Voilà que j’évoque ma famille ! Au début de l’histoire, je suis un enfant, mû par cette énergie de fuite et cette intensité, puis un jour sur le chemin la vie m’apporte cette jeune femme. Elle aussi a son histoire, elle aussi est en réaction à un contexte d’enfance. Vingt deux et vingt-trois ans, peut-être recherche-t-elle un élan, une énergie pour larguer ses amarres, mon énergie lui a peut-être permis de prendre son envol ? En tous cas, à un moment de l’histoire, nos deux âmes se trouvent, mari et femme, puis père et mère. Mais mon énergie motrice avait-elle vraiment évolué ? Surement mais les bases étaient les mêmes, toujours fondées sur mes syndromes post traumatiques d’enfant / jeune-homme : fuite et intensité, toujours motrices !

Homme, femme, nous ne vivons pas les mêmes révélations. La grossesse parle à la chair. Dans son corps, la future mère ressent l’appelle de la vie : « reviens à la maison ». Cet appel, c’est aussi : prends ta place dans la vie ! Avec la maternité, la vie parle directement à la chair de la future maman. Ainsi, elle « court-circuite » les stratégies d’adaptations de la petite fille, alors elle devient femme. Bon, ce n’est pas toujours aussi simple bien-sûr, je schématise !

Alors si la vie me parlait si fort et de plus en plus fort, pourquoi ai-je mis tant de temps à l’entendre ?


Le besoin d’un déclic


Pourquoi restais-je cramponné à un fonctionnement dont les racines prenaient leurs forces dans mon contexte d’enfant, déjà lointain ! Vingt, trente, quarante ans, il aura fallu attendre cinquante pour qu’enfin je décide de reprendre les reines de ma propre vie, pour qu’enfin je revienne à la maison et assume ma place dans la vie. Tant de temps pour devenir moi !

Le déclic, le véritable déclencheur, celui qui m’a profondément décidé à ne plus subir un contexte dépassé, fut le moment où (sans rentrer dans le détail) j’ai senti que mon père tentait d’étendre son « influence » sur mes filles. Sur le coup, oui il s’agissait bien d’une réaction réflexe de ma part, une réaction sanguine, mon corps lui-même s’est réveillé pour bousculer ce qui jusque-là résistait à mon propre réveil et à ma transformation. Me suivez-vous toujours ? L’énergie de fuite et son intensité étaient encore la base de ma « motricité », encore basée sur une adaptation de l’enfant Sidney. Trente ou quarante ans plus tard, l’électrochoc de cet échange avec mon père qui déclencha mon réveil était enfin celui d’un père (moi) garant de la sécurité de sa famille. C’est donc une émotion de colère qui me réveilla, mais aujourd’hui, je fais la part des choses. Je comprends que nous faisons tous de notre mieux, toujours. De notre mieux avec notre histoire. Mon père, comme chacun de nous a fait de son mieux pour être, pour vivre, pour être père et traverser cette vie en y cheminant pour le mieux. Moi aussi, si j’ai mis cinquante ans avant de revenir à moi, revenir à ma place de père et de mari protecteur c’est qu’il me fallait toutes ces aventures, mésaventures, apprentissages et compréhensions pour enfin endosser la pleine responsabilité de mon chemin.


La loyauté : résistance au changement


Aujourd’hui, je comprends la force de gravité qui m’a retenu dans la non-action. Mon inconfort était grandissant depuis plusieurs années probablement depuis mes quarante ans (nous sommes uniques mais pas toujours très originaux !), pour autant je n’avais pas la complète conscience d’un besoin d’action pour revenir à moi. La loyauté et le besoin d’appartenance, ont surement été mes plus grands freins au changement. Une fois encore, faire la part des choses est la clé !

Enfant, je voulais être reconnu, je voulais appartenir, je voulais sentir la reconnaissance d’un père qui aurait vu dans ma chair sa propre chair. Je n’avais alors pas la maturité de comprendre que lui-même était probablement dans le même type de dynamique avec son propre père. Quoi qu’il en soit, tout ce qui pouvait me faire sentir ou croire que j’appartenais au clan Gavignet, aux valeurs du clan (qu’elles soient, sensées ou insensées), me rassurait. Remettre en question ces valeurs, pour adopter les miennes revenait alors à trahir mon clan, mon appartenance. Je n’avais pas encore fait la part des choses dans cette relation tumultueuse père / fils, d’un côté il y a l’amour et de l’autre il y a la complexité de la vie de chacun. Sans cette compréhension, tout s’emmêle tout est confondu. La loyauté et ma confusion m’ont tenu dans la soumission à mon histoire jusqu’à ce que mon instinct de père secoue enfin cet état d’inertie. Homme-enfant, je décidais enfin d’être un homme, d’être qui je suis.

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